Evolutions de la communauté familiale
La société de travail et d'habitation créée au moment du mariage d'un des enfants est considérée plus ou moins explicitement comme « illimitée ».
Cependant dans certains cas les parents semblent craindre que les futurs quittent prématurément la famille.
- Pour Claude Tury et Jeanne Deverne, le contrat (CM Marconnot 24/03/1861) stipule que dans le cas d'un départ avant 2 ans les jeunes époux n'auront aucun droit sur les outils, chars, charrettes, instruments, ils pourront seulement retirer leur ménage et leur part des bénéfices.
- Dans la famille Sarrazin (CM Morand 16/02/1852), les futurs n'auraient aucun droit dans les harnais de labour et ses chars s'ils se retiraient avant 3 ans.
- Si Henri Terret et Suzanne Raffin quittent de leur chef la société ils n'auront que 1/5 alors que 1/4 leur a été attribué (CM Morand 25/11/1849).
- Si pour une cause quelconque Antoine Ray et Anne Jallat quittent la société des parents Jallat avant le 11/11/1891, c'est à dire moins de 3 ans ils n'auront aucun droit sur le cheptel et les harnais (CM Grand 10/02/1889).
D'autres parents acceptent la séparation plus facilement, considérant que la société est à durée illimitée mais qu'elle pourra cesser à la volonté des sociétaires, ou à la volonté d'une des parties, parfois à la seule condition que la séparation ait lieu le 11 novembre, date habituelle de commencement de bail.
Dans un tiers des cas environ les parents stipulent que lors de la dissolution de la société ils prélèveront une somme, d'ailleurs assez variable....
- Les parents Court prélèveront la somme de 100 francs, et le surplus sera partagé en 4 avec Pierre, leur fils et Madeleine Tate (CM Felidas 01/02/1891).
- Claude Gouyard et Catherine Bardot retiendront une somme de 200 francs, et en cas de décès de l'un deux le survivant pourrait prélever seul les 200 francs lors de la dissolution de la société avec Blaise, fils de Catherine et Elisabeth James (CM Cherieux 17/11/1861)
- Quand les époux Mousset et les époux Gausse se sépareront les futurs auront part au produit de la vente de bétail mais aucune part dans le bénéfice du bétail constaté par estimation du cheptel au 11 novembre qui suivra la dissolution (CM Thyraud 09/05/1875)
- Pour la dissolution entre les parents Beylot et le couple de leur fils Gilbert, les parents prélèveront la somme de 2000 francs avant tout partage sur le ¼ qui reviendra aux futurs. Le futur prendra avant de partager avec la future une somme d d'environ 2000 francs qui représente sa part actuelle dans la société.(CM Felidas 10/08/1884)
La dissolution de la société
- Suite à la mort de l'un des associés
Lors du mariage de Jean Tissier avec Marie Valette le 10/02/1829 à Montoldre, une communauté a été instaurée entre les nouveaux mariés et les parents de Marie, Charles Valette et Thérèse Michel.
Charles Valette est décédé le 20/11/1836, la société est dissoute, Jean Tissier et Thérèse Michel ont fait leurs comptes et ont partagé l'avoir social de la société. Le 12/08/1838 ils déclarent qu'ils sont mutuellement quittes de toutes choses.
- Les problèmes financiers
Ainsi Pierre Terret et son fils Gilbert, métayers ensemble à Crechy, mettent fin en 1857 à la société d'agriculture qui existe entre eux depuis 10 ans.
Pierre Terret, devenu âgé et infirme ne peut plus travailler.
C'est donc Gilbert qui demeure chargé de l'exploitation de la locaterie. Les récoltes ont été mauvaises et n'ont pas permis de régler les dépenses. C'est Gilbert Terret qui a fait diverses avances à la société, compte fait de 200 francs, 100 francs revenant à chacun.
En outre la société doit 274 francs au propriétaire, somme qui sera payée moitié moitié sur les ressources personnelles des comparants.
La somme de 100 francs sera payée à Gilbert, soit sur la part de la récolte revenant à son père, soit sur les biens meubles et immeubles personnels de ce dernier.
- L'incompatibilité entre les sociétaires
Claude Forestier a épousé Marie Boutonnat en 1823 et une société de culture a été formée entre le père Charles Boutonnat, vigneron cultivateur au lieu des Peyraux (Rongères), Nicolas, son fils et Claude Forestier le gendre, pour chacun un tiers.
Mais Claude Forestier, "ayant donné des sujets de mécontentement à son beau-père (...) et l'un et l'autre ne pouvant plus demeurer vivre ni compatir ensemble", la société est dissoute le 25/04/1824 et Claude Forestier et sa femme iront dès le lendemain vivre au lieu de Chez Bontemps, à Rongères.
Le beau-père et le gendre règlent les comptes à l'amiable.
Louis Espagnols et Antoinette Brelle, propriétaires au Mayet d'Ecole, ont formé une communauté avec leur fils Jean et sa femme Magdeleine Robert (mariés en 1815) et leur fille Marguerite et son mari Denis Braille (mariés en 1816), association composée de 6 parts égales.
Mais pour cause d'incompatibilité entre les 2 jeunes couples, ceux-ci demandent à leurs parents en 1818 la dissolution de l'association, Jean Espagnols s'étant séparé auparavant.
Les associés ont donc examiné la force de leur communauté, or le passif se compensant avec l'actif il ne reste rien à partager. Les associés retirent seulement les meubles qu'ils se sont réservés.
Jean et sa femme, Denis et sa femme, abandonnent abandonnent à leur père et mère leurs droits sur les faibles denrées à charge pour eux de libérer les dettes de la société s'élevant à 60 francs environ.
Dans certains contrats de mariage la séparation due à une incompatibilité n'est pas perçue comme une catastrophe mais comme une éventualité. Ainsi pour Gabriel Mansier et Françoise Piquet, dans le cas de séparation les 1000 francs promis par les parents de Françoise seront payés à partir de cette date, avec un intérêt de 5% par an jusqu'à remboursement du capital, et sans retenue. Ils pourront emporter tout ce qui sera justifié leur appartenir.
- résiliation de la communauté sans séparation
Mais le 11/02/1851, soit moins d'un an après, ils se retrouvent devant le même notaire car:
Cette communauté qui n'a pas encore un an d'existence n'a eu aucun résultat actif ou passif.
Les parties veulent la dissoudre, mais ils continueront d'habiter dans la maison d' Elisabeth Croizet. Alors pour éviter les confusions ils précisent la consistance du mobilier de la veuve Reignier. Il s'agit de:
- un lit complet
- ses linges de corps et de ménage
- un coffre en noyer
- une huche à pétrir
- une table et trois chaises
- une chaudière, 2 chenets, une crémaillère
- une poèle à frire, une marmité
- 2 tonneaux et une pièce d'un hl
- une bêche.
Tous leurs droits ont été réglés, ils n'ont aucune réclamation à se faire. Ils peuvent donc continuer à cohabiter...En 1856 ils vivent encore ensemble, à la Batisse, un enfant est né, Gilbert. Claude Gauthier est recensé comme propriétaire cultivateur.
- séparation fraternelle au décès des parents
Il faut remarquer que lors de la création de la société les sociétaires se sont mis d'accord sur les parts de chacun et sur les modalités de partage en cas de dissolution, mais rien n'est précisé concernant la cohabitation et le travail ensemble.
Or dans les habitations les pièces sont en nombre réduit, souvent une cuisine et une ou deux autres pièces. Quand les sociétés regroupent 3 (ou plus) couples les conditions matérielles ne permettent guère une vie de couple, et des querelles peuvent naître facilement à cause de la promiscuité.
Quant au travail, certes le chef de la société est désigné, en général le père ou le frère aîné, mais dans une région de polyculture le travail très varié entre la vigne, les champs, l'élevage de bovins, d'ovins et la basse-cour les différentes tâches doivent être réparties, ce qui peut conduire à des discussions, des refus etc...
Quand l'autorité du père disparaît, peuvent apparaitre des dissensions entre les frères ou beauxx-frères...
La communauté générale de la famille James à Barberier est dissoute le 20/11/1814: les parents sont décédés. et les 4 fils et la fille mariée Le couple de la fille s'est déjà éloigné, il habite à Bayet. Il reste les couples des 4 frères.
Ils veulent éviter à l'avenir des discussions. Ils entérinent donc la séparation, et partagent la valeur des meubles et effets mobiliers venant des parents.
Les 4 frères eux s'associent 2 par 2...
Dans les actes de notaire les reproches et conflits qui conduisent à la séparation, à part "l'incompatibilité" ne transparaissent pas directement....
transformation de la société
Par la suite, en fonction des mariages et des décès dans le groupe familial, les sociétés sont modifiées, évoluent, changent de sociétaires.
- nouveaux mariages
Marguerite Bougarel
Lors du mariage en 1847 de Madeleine Bougarel avec Pierre Artus une société de culture aux Bonnets (commune de Varennes) a été constituée comprenant Marc Bougarel le père de Madeleine et sa femme Marie Simonnet, fermiers, le nouveau couple, la soeur célibataire de Madeleine, Marguerite, et Mathieu Petot, le fils de Marie Simonnet, en 2 parts, une pour les parents et l'autre moitié pour les 4 autres.
En 1852 Marguerite se retire de la société pour se marier, en dehors de la famille. Devant maitre Marconnot notaire à Varennes, le 31 mai, elle cède et transporte ses droits à sa soeur, son beau-frère et à Mathieu Petot, son demi-frère, cession faite pour la somme de 300 francs, payée par moitié par Marie et Pierre et par Mathieu.
Madeleine se constitue ainsi sa dot, et le même jour devant le même notaire le contrat de mariage est établi pour Marguerite qui épouse Gilbert Buisson propriétaire cultivateur à Varennes et orphelin, âgé de 32 ans.
famille Boucher
Jean Boucher et Gilberte Papon sont en société avec leur fils Blaise marié à Claudine Papon comme laboureurs métayers à Caffière (Vilaine). Leur fille Marie et son mari Jean Poput sont locataires au village des Jacquards dans la même commune.
Mais en 1828 Jean et Blaise ont décidé "que dans l'intérêt de la communauté il devenait nécessaire de s'adjoindre un troisième associé ".Ils proposent donc à Jean Poput un tiers de la société et la cohabitation dans la maison familiale, à partir de la Saint Martin prochain
Attendu que Jean Poput n'apporte que son travail à la communauté, il est convenu que lors de la dissolution, le père et le fils prélèveront une somme de 200 francs avant tout partage.
enfants Neury
Jean Neury et Marie Vichy (CM Morand 16/05/1832) intègrent une société formée de 3 couples:
François Grenier époux de la sœur Neury
les couples des 2 frères, François Neury et Charles Neury.
C'est François Grenier qui est désigné le chef de la société, comme le plus âgé. Chaque couple possède le 1/4 de la société.
Les parents de Marie Vichy ont payé 30 francs pour son entrée dans la société. Tous les mobiliers présents, chars, charrettes, harnais de labourage, toutes les acquisitions qu'ils feront, font partie de la société. Les enfants seront nourris et entretenus.
enfants Lucas
Gabriel Lucas et Jeanne Laplanche ont plusieurs enfants.
En 1832 les filles ainées sont mariées, et ont quitté le domaine exploité par la famille. Ils ont auprès d'eux les 4 fils, dont 2 sont mariés, Gilbert avec Gilberte Roubier, Antoine avec Marie Daguenet, les 2 autres célibataires Gabriel et Gilbert, le plus jeune est encore mineur, et leur dernière fille, Marie.
Dans la société établie en 1832 les parents s'attribuent 4/16, les couples des fils également et les 2 fils célibataires 2/16.
Reste la situation de Marie ; elle n'a aucune part dans la société, car elle est destinée à quitter la famille lorsqu'elle se mariera ; cependant les parents ne pensent pas la négliger pour autant. Ils prévoient sa dot, et en attendant veulent rémunérer sa participation au travail commun :
« Les parents prendront sur l'avoir social quand bon leur semblera dans l'intérêt de Marie Lucas leur fille une fourniture semblable en tous points à celles qu'ont reçu leurs filles déjà mariées. Marie recevra des sociétaires tant qu'elle travaillera pour le compte de la société une somme annuelle de 24 francs à partir du 24 juin dernier. En outre elle sera nourrie, logée et blanchie comme les sociétaires »
famille Masseret
Jean Masseret et Antoinette Martel ont deux enfants, une fille et un fils.
La fille Thèrèse se marie en 1833, avant son frère. Avec son mari elle forme une société de travail avec ses parents.
Mais il est prévu que lors du mariage du frère celui-ci aura le choix
- de quitter la maison sociale et dans ce cas d'exiger le paiement immédiat de la somme de 300 francs
- ou de rester dans la maison sociale, la société continuant alors sur la base de 1/3 par couple, au lieu de 1/2.
Officialisation d'une communauté de fait
Gilbert Jouannet et André Valle, cultivateurs au village Paillère à Creuzier le Neuf habitent depuis fort longtemps ensemble et jouissent en commun des biens qu'ils exploitent comme fermiers ou colons partiaires. Mais ils n'avaient jamais établi de société agricole. En 1843
craignant que la mort ne viennent les surprendre et que les héritiers de l'un ou l'autre viennent les inquiéter.
ils décident d'établir une société de collaboration agricole, qui se compose des récoltes de toute nature, des instruments, chars, bénéfices de bestiaux, et tout ce qui se rapporte à la culture.
Le mobilier de chaque sociétaire n'entre pas dans la communauté. Il existe une vache qui appartient en particulier à Gilbert Jouannet. Celui-ci se réserve de la vendre ou d'en disposer à son gré. Les autres bestiaux qu'ils auront par la suite seront à moitié.
Lors de la dissolution les dettes et charges seront payées par moitié à l'exception d'une somme de 100 francs que Gilbert Jouannet doit seul au propriétaire.
Toute société est ainsi recomposée en fonction de l'évolution des familles, suite aux décès, aux mariages, aux séparations volontaires, quand le nombre de sociétaires augmente trop, aux dissensions entre les membres etc....