Le handicap de l'analphabétisme

 
Au 19ème siècle la très grande majorité des cultivateurs sont analphabètes, c'est seulement dans le dernier quart du  siècle que  la scolarisation  de (presque )tous  se montre efficace...
 

Dans le Bourbonnais rural du 19ème siècle, qui sait lire et écrire ?

Bien sûr le médecin, le notaire, le curé, le maire, son adjoint, l'instituteur, des propriétaires, des régisseurs, certains artisans qui signent chez les notaires les divers actes comme témoins appelés…

 

Ne pas savoir lire

 

Il faut constater que dans les inventaires après décès des cultivateurs on ne trouve pas de livres, sauf dans le cas de Jean Sarrazin né en 1807 cultivateur vigneron à Billy : il laisse 4 livres, qui appartiennent à des domaines très différents : géographie, biologie, droit des affaires, arithmétique. Il ne s'agit pas de lecture de distraction, ni de religion, alors que Jean était vigneron....Les livres comme le reste de ses biens, tout est vendu à son décès en 1851 et c'est un autre cultivateur plus jeune, qui les achète…

 

Pourtant savoir lire pourrait être utile aux fermiers et surtout aux métayers qui doivent constamment traiter avec le bailleur, pour partager les récoltes, pour rembourser les dépenses faites par le propriétaire ou réciproquement, et pour respecter les clauses du bail, nombreuses et précises souvent…

 

Ainsi le Baron Boirot de la Cour, sur le bail de ferme du 19/11/1818 (auprès de Maître Pracros, notaire au Mayet d'Ecole) accordé à François Triboulet exige le paiement annuel du fermage de 2400 francs à lui-même directement, ou à son fondé de pouvoir, ou à ceux qui seront porteurs de mandats écrits de sa main.

Cela exige une bonne connaissance de l'écriture du baron et surtout de savoir lire... Or François Triboulet se montre incapable de signer le bail. En cas de confusion comment le fermier pourra-t-il se défendre?....

Illettré, le cultivateur dépend entièrement des comptes établis par le propriétaire ou le régisseur qu'il ne peut pas vérifier.

 

Lors d'accords commerciaux celui qui ne sait pas lire  est à la merci de son partenaire. C'est le cas en 1890 de François Jutier, propriétaire à Paray sous Briailles. Il a donné procuration à Louis Murat pour vendre un bien et en attendant la vente il lui demande un prêt de 200 francs. Louis Murat lui fait signer un billet sans témoin. Or Jutier ne sait signer qu'avec un modèle, et c'est Murat qui lui fait le modèle. Puis les récits divergent. Murat dit avoir remis les 200 francs Jutier, qui conteste ce qui aboutit à une plainte à la gendarmerie pour filouterie...

 

ne pas savoir écrire

 

l doit garder en mémoire les événements, quantités etc. Il ne peut garder aucune trace  d'événements, de dates etc....

 

ne pas savoir signer

 

Très peu sont capables de signer, même des conseillers municipaux lors des réunions des conseils déclarent ne pas savoir…

 

signatures CM Escurolles 1862

conseil municipal Escurolles 1862


Signer son nom ne signifie pas savoir écrire: certains ont appris à signer selon un modèle mais ne vont pas au-delà. D'ailleurs les testaments manuscrits sont rares....

La signature sur les actes comme les déclarations de naissance, décès, mariage ou les actes notariés n'est pas obligatoire, si la personne déclare ne pas savoir le faire. D'ailleurs, la signature en elle-même est si peu considérée importante que certains selon les actes signent ou non.

L'exemple de la famille Sarrasin représente une exception car la tradition de savoir signer remonte dans le temps et perdure:

Ainsi Martial Sarrazin, laboureur au Pible (Magnet), né en 1742, signe de nombreux actes, son fils Gilbert, né en 1774 également:

 

signature sarrazin 1801

 

les fils de ce dernier aussi: Martial né en 1801, Gilbert en 1804 et Jean en 1807. Le fils de Martial, Gilbert né en 1826 à Billy de même et les générations suivantes également !

Ce qui attire l'attention c'est le fait que les 3 frères Sarrazin, Martial (né en 1801), Gilbert (né en 1804) et Jean (né en 1807) signent tous les 3 mais avec une orthographe différente.

signature sarrazin 1847

L'aîné écrit « sarasin », le second « sarrasin », le troisième «sarrazin», alors que le père signait " Sarazin" comme le grand-père....ce qui prouve qu'ils ont appris à lire et écrire séparément, hors du cadre familial.…

Cependant le fait de signer son nom ne signifie pas que la personne sache écrire, elle a pu apprendre à «dessiner» son nom. Ainsi François Jutier a besoin d'un modèle pour pouvoir signer, alors dans cette situation il demande à son  partenaire de lui en faire un. Cela le met à la merci de ce dernier, qui sait que François Jutier ne sait ni lire ni écrire.

Dans certains cas la signature semble tellement hésitante, avec erreurs orthographiques (comme une syllabe qui manque), qu'il semble qu'en fait les notions basiques n'ont pas été acquises...

Ainsi en 1856 Jean Gournillat signe, certes, son nom de famille, mais incorrectement, il omet une syllabe...

 

signature Jean gournillat
 

Ne pas savoir compter
 
Les cultivateurs parviennent  empiriquement à « compter »...mais les documents rencontrés n'illustrent pas la situation....
Et pour ceux qui n'ont pu fréquenter l'école de peu de temps ils ont commencé par l'apprentissage de la lecture, éventuellement  de l'écriture. Le calcul ne rentre au programme que plus tard jusqu'à l'enseignement primaire de  la troisième République...